lundi 20 octobre 2014

A propos de la plainte

Je suis très en retard pour cet article. A ma décharge, j’ai vite enchaîné entre le dépôt de plainte et le départ précipité de chez mes parents, puis j’ai vécu sur des canapés successifs. (Je suis SDF, sans emploi et violée, c’est la grosse joie en ce moment, je ne vous le cache pas.)

Donc, le dépôt de plainte. Qu’en dire. J’ai eu de la chance, parce que je suis tombée sur une OPJ qui, je crois, en avait quelque chose à faire.

(Mais, s’il faut détailler mes déboires préliminaires, je me suis d’abord rendue dans un commissariat où on a refusé de prendre ma plainte et où on m’a dit de me rendre dans un autre commissariat. Sans me donner l’adresse de cet autre commissariat, parce que ce serait trop simple. La Police fait partie de l’Administration française, alors qu’en attendre d’autre ?
Normalement ça ne peut pas vous arriver, parce que balancer à la victime d’un viol que le commissariat dans lequel elle se trouve ne prendra pas sa plainte et qu’elle n’a qu’à aller ailleurs, c’est illégal. Si si, illégal.
Enfin, tout ça pour dire que cet incident n’a pas grande importance dans l’absolu.)

Ce que je peux noter d’intéressant sur le dépôt de plainte :

- L’OPJ tape vos déclarations au fur et à mesure. Ça implique des fautes de frappe et des morceaux de phrases qui ne vont nulle part. A moins que l’OPJ ne soit complètement obtus/e, ça se corrige à la fin. Il vaut mieux, d’ailleurs : c’est envoyé au procureur de la République qui en a des pelletés à lire par jour, de plaintes, alors autant lui faciliter le boulot en rendant la vôtre lisible. En gros : le PV est un brouillon. Corrigez le brouillon.

- L’OPJ reformule plus ou moins tout ce que vous dites pour le faire rentrer dans des cases et virer les trop grandes hésitations, sauf dans le cas où il/elle trouve votre formule poignante et/ou rigolote. Exemples : J’ai soufflé un « personne ne croira ça, c’est surréaliste », que j’aurais voulu virer de mes déclarations, mais l’OPJ a répondu « non non, on garde, c’est marrant ». Je lui ai fait enlever des petits rajouts de sa part que je trouvais trop larmoyants. Je n’ai pas réussi à lui faire écrire quelque chose que je voulais mais qu’elle trouvait ambigu (« je ne peux pas arrêter d’être violée »). En gros : le PV est moins un témoignage qu’une rédaction de français. Faites en sorte que ce soit votre rédaction de français et pas celle de l’OPJ.

- L’OPJ est aussi là pour décourager les fausses déclarations. Il/elle vous indiquera plusieurs fois que si, finalement, vous vous dites que vous exagérez, que ça ne s’est pas passé comme ça et que vous avez raconté des salades sur votre présumé violeur parce que vous étiez en colère contre lui pour d’autres raisons, il vaut mieux sortir du commissariat tout de suite. Que si vous persistez dans votre plainte et qu’il est prouvé que vous avez fait de fausses déclarations, on portera plainte contre vous pour le temps et l’argent que vous avez fait perdre à l’État au cours de l’enquête. C’est difficile à entendre, mais l’OPJ ne peut pas ne pas envisager cette possibilité. Il existe malheureusement des femmes qui commettent de fausses déclarations de viol, et certaines pleurent très bien sur commande. (Plus terrible encore, c’est beaucoup plus facile à une fausse violée de porter plainte qu’à une vraie… Elle n’est pas empêchée par sa propre honte…) Le viol est un des crimes les plus graves selon nos normes sociétales actuelles, faire une fausse déclaration de viol est très grave, et si votre violeur peut prouver qu’il n’a pas pu vous violer parce qu’il n’était pas là au moment des faits, vous êtes mal.
… Mais, franchement, dans votre cas à vous, comment votre violeur est-il censé faire pour prouver qu’il était ailleurs alors que vous savez très bien où était toute son anatomie le jour des faits ? Il faudrait qu’il parvienne à faire témoigner faussement quelqu’un d’autre. Si dur que ce soit, je recommande de souffler un bon coup, de regarder l’OPJ dans les yeux et de lui dire que vous ne craignez pas de procès pour faux témoignage. En gros : l’OPJ ne peut pas être certain/e de votre bonne foi. Soyez-en certain/e à sa place.

- L’OPJ veut tout savoir. Tout, c’est tout. Ça comprend les détails dont vous avez honte (« je n’ai pas quitté l’appartement après le viol, pourquoi ne me suis-je pas enfui/e ? »), ceux dont vous pensez qu’ils vous desserviront (« j’avais déjà couché avec lui, est-ce qu’il ne s’est pas senti autorisé à me violer à cause de ça ? »), et même ceux auxquels vous n’auriez pas pensé (« si je pratique la sodomie ? …mais quel est le rapport avec la choucroute ? »).
* Pour les détails dont vous avez honte, ben, si vous ne les citez pas, vous ne citerez plus grand-chose. Vous avez été violé/e : c’est pas chouette, mais c’est pas vous le/a responsable. Vous n’avez pas eu des réactions parfaitement logiques et pragmatiques juste après votre viol : mince alors, vous voulez dire que vous étiez irrationnel/le et traumatisé/e ? Mais comment est-ce que ça se fait, dites donc ?
* Pour les détails dont vous pensez qu’ils vous desserviront, ben, autant que vous les révéliez vous-même. Imaginez le malaise si c’est votre violeur qui les met sur la table. Au lieu d’être de simples circonstances, ils deviendront ses justifications. « Je ne portais malheureusement pas de culotte » vous desservira vingt fois moins que « Elle ne portait même pas de culotte ! » ; « J’avais déjà couché deux ou trois fois avec lui de façon consentie » contre « Mais j’avais déjà couché deux ou trois fois avec elle et elle n’avait pas protesté ! » Posez vos cartes avant qu’il ne les pose. Ne le laissez pas s’accrocher à votre peine pour s’en tirer.
* Pour les détails dont vous ne comprenez pas ce qu’ils viennent faire là : malheureusement, vos pratiques sexuelles intéressent. C’est horrible, ce n’est pas quelque chose que vous avez envie de mêler à votre viol, mais c’est plus ou moins pour calculer votre traumatisme. Si vous êtes vierge et qu’on vous viole, c’est considéré comme plus grave que si vous êtes une vieille pratiquante et qu’on vous viole. Si vous êtes un homme hétérosexuel et que vous êtes violé par un homme, c’est considéré comme plus grave que si vous êtes violé par une femme. Si vous ne pratiquez que la sodomie et qu’on vous viole par le vagin, c’est considéré comme plus grave que si on vous viole par votre voie habituelle. En gros, on veut estimer la saloperie supplémentaire dont a fait preuve votre violeur, l’outrage de plus. (Par exemple, j’ai été violée dans un rapport que mon violeur savait être fécondant, alors qu’il savait aussi que je ne veux pas d’enfant : outrage de plus.)
Ces questions sont-elles toutes justifiées ? Je ne sais pas. Mais c’est la personne en face de vous qui a les clés de votre plainte, qui a le pouvoir de mettre en marche l’appareil judiciaire chargé de résoudre le problème du viol dont vous avez été victime. Vous n’avez pas vraiment le choix. Si c’est trop dur, l’OPJ le sentira parce que ce sera écrit sur votre visage, et il/elle cherchera un moyen de faire sans la réponse.
En gros : l’OPJ pose toutes sortes de question. Répondez-lui, ou pleurez.

Voilà. Si je repense à d’autres choses, je les ajouterai.

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