Une amie me soutient dans l’état où je me trouve. Je ne la
remercierai jamais assez de m’avoir écoutée, consolée, et convaincue de porter
plainte.
Mais cette amie me soutient également que les hommes hétéros
sont généralement incapables de comprendre pourquoi le viol est une telle terreur
chez les femmes.
Il est vrai qu’on en trouve encore pour répéter cette
superbe maxime : « quand le viol est inévitable, installe-toi
confortablement et profite. » Mais je n’aime pas les généralités, et je
n’aime pas baisser les bras. Peut-être que certains de ces hommes
« incapables de comprendre » sont des hommes qui n’ont pas envie de
comprendre. Peut-être (soyons naïf) que c’est justement trop horrible pour eux de
s’imaginer à la place d’une femme, et que leur cerveau se censure lui-même.
J’ai déjà entendu, comme réplique à cet argument que les
femmes ont peur dans la rue car elles risquent le viol : « les hommes
aussi ont peur dans la rue : ils risquent de se faire casser la
gueule. »
Alors, raisonnons là-dessus.
Disons que la violence est un instinct naturel de l’être
humain. La société la gère de la façon suivante : chacun est invité à
utiliser un punching-ball quand il a des envies de violence solitaire, et à
trouver un adversaire consentant pour une bagarre amicale quand il a aussi
envie de proximité physique. Dans ces bagarres amicales, chacun des deux
partenaires donne des coups, en reçoit, transpire, s’amuse et comble là son
besoin de cogner. Pères et mères ont un sourire attendri lorsqu’ils découvrent
des bandages dans le tiroir de chaussettes de leur progéniture adolescente.
Toutefois, il est clair pour tout le monde qu’il n’est pas
agréable de se faire frapper quand on n’a pas envie de violence. Il ne devrait
pas être très dur de déterminer, dans cette société, ce qu’est une bagarre
amicale et ce qui n’est pas une bagarre amicale.
Votre partenaire a dit « non » et se protège le
visage de ses bras sans rendre les coups, et vous continuez à cogner ? Ce
n’est pas une bagarre amicale.
Un professeur qui corrige son dernier contrôle-surprise
propose une bagarre amicale à un élève et celui-ci a peur pour sa note s’il
refuse ? Ce n’est pas une bagarre amicale.
Vous n’acceptez d’être frappé que parce que votre partenaire
vous menace avec un couteau ? Ce n’est pas une bagarre amicale.
Vous avez envie de cogner, le punching-ball ne vous tente
pas, mais votre partenaire est en train de dormir… donc vous le rouez de coup dans
son sommeil ? Ce n’est pas une bagarre amicale.
Quelqu’un a profité de votre coma éthylique pour vous coller
des coups de pied ? Ce n’est pas une bagarre amicale.
Que rien de tout ça ne soit une bagarre amicale ne remet pas
en cause l’existence des bagarres amicales ou le plaisir qu’on peut prendre à
se mettre sur la gueule ; mais une bagarre amicale, une vraie, c’est un
moment de complicité où tout le monde est d’accord pour donner des coups et en
recevoir.
Oh, j’oubliais. Si la violence ne vous a jamais attiré et
que quelqu’un décide de vous casser la gueule pour vous
« guérir » : ce n’est pas une bagarre amicale.
Après, on pourrait ajouter que si vous vous faites casser la
gueule, beaucoup de gens penseront que vous l’avez cherché. Certains vous demanderont
si vous êtes certain que ce n’était pas une bagarre amicale. Peut-être que des
gens vous blâmeront pour ce qui vous est arrivé et déclareront qu’ils ne se
bagarreraient amicalement avec vous sous aucun prétexte, que vous êtes perdu
pour la baston. Peut-être que vous passerez des mois sans pouvoir toucher votre
punching-ball au souvenir l’agression dont vous avez été victime.
Reste-t-il encore quelqu’un qui n’a pas compris le problème
du viol ?
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