lundi 20 octobre 2014

Soutien familial

Bon.

Cet article va être un peu plus personnel et un peu moins intéressant, j’en suis navrée.

Dans mon entourage, j’ai globalement été bien soutenue suite à mon viol. Les personnes à qui j’en ai parlé se sont scandalisée des faits, m’ont mis des petites tapes dans le dos et m’ont affirmé que, si j’avais besoin de quoi que ce soit, je pouvais le leur demander.

Toutes, sauf deux.

Mes parents.

Pourquoi ? Je ne sais pas. Dans les éléments de réponse, ils ont apparemment pratiqué dans leur jeunesse ce qu’ils appellent du « sexe par surprise », ce qui signifie semble-t-il « commencer la pénétration tout seul et croiser très fort les doigts pour que le partenaire soit content en se réveillant ». Ils ont réussi à comprendre que c’est ce qui m’était arrivé. Comme si je ne leur avais pas précisé que mon violeur avait pris le risque de me mettre enceinte. Comme si je ne leur avais pas précisé qu’il avait manifesté son envie de se « branler à l’intérieur » et qu’il était persuadé que je ne me réveillerais pas s’il était assez discret. Comme si j’étais trop con pour faire la différence entre quelqu’un qui veut me procurer du plaisir et quelqu’un qui me veut du mal.

Après mon dépôt de plainte, que, dois-je le préciser, ils n’ont pas encouragé, je leur ai révélé que je l’avais fait, que je ne retirerais pas ma plainte, et que s’ils n’étaient pas contents j’avais l’intention de me tirer de chez eux.

Ils ont aussitôt, dois-je le préciser, eu la réaction la plus logique qui soit : prendre la défense de mon violeur et me culpabiliser pour mon dépôt de plainte. Sûr. Normal. Ta gamine t’annonce en pleurant qu’elle essaye d’obtenir réparation pour le crime qu’elle a subi, forcément, tu défends le criminel, c’est ton travail de parent.

S’en est suivi un débat de trois quarts d’heure en trois phases :

1] Est-ce du viol ?
2] Est-ce visé par le Code Pénal ?
3] Était-ce la bonne chose à faire que de porter plainte ?

Ils m’ont tout fait.

Phase 1 : est-ce du viol ?

- La discussion fut difficile jusqu’à ce que vienne enfin sur le tapis leur histoire de sexe par surprise. Il a alors fallu que j’avance point par point ce que mon violeur m’avait dit qui ne collait pas avec cette hypothèse : le fait qu’il ne comptait pas me réveiller, qu’il voulait juste prendre son plaisir et pas m’en donner, qu’il m’avait culpabilisée après les faits au lieu de me consoler… (Ce dernier argument a remporté la partie : apparemment, dans le « sexe par surprise », quand le partenaire s’est réveillé et n’est pas content, il faut s’excuser de la surprise et promettre qu’on ne le refera plus.)

Phase 2 : est-ce visé par le Code Pénal ?

- Pour mon beau-père, « s’il ne t’a pas frappée, ce n’est pas du viol ». Or, c’est faux. L’article 222-23 du Code Pénal définit qu’il y a viol s’il y a pénétration par violence, contrainte, menace ou surprise. J’ai déjà évoqué plusieurs cas dans cet article avec l’analogie bizarre sur les bagarres amicales. Ici, c’est la surprise. Au bout de mon douzième « mais va sur Internet, va voir le Code Pénal, article 222-23, tu verras si j’invente », ils ont lâché la partie.

Phase 3 : était-ce la bonne chose à faire que de porter plainte ?

- La grande question. « Si quelqu’un a commis un crime, faut-il le punir », en gros, en résumé. Il a donc fallu que je prouve que c’était bien un crime et pas « une maladresse », et qu’il s’agissait de la bonne punition… ou plutôt de la seule… Il a fallu que je prouve que l’acte de mon violeur n’était pas irréfléchi mais préparé, et pas une erreur qu’il ne commettrait pas à nouveau mais une pulsion qu’il n’avait pas su contrôler et qu’il ne saurait pas contrôler à l’avenir. Il a fallu que je leur fasse reconnaître que les institutions telles qu’elles sont ne m’offraient que deux possibilités : soit ne rien faire, soit porter plainte, et que c’était ne rien faire, la mauvaise solution.

Le bêtisier : parce que je devais faire quelque chose de l’insomnie après la dispute, et parce que ça pourrait vous servir.

Je vous les mets pêle-mêle.

« Bon, ben là, sa carrière de prof, elle est finie avant d’avoir commencé… »
Sûr ! L’Éducation Nationale manque de violeurs, je devrais avoir honte de l’en priver. Quoi, si je ne me sens pas mal de lui bloquer le seul emploi qu’il a jamais envisagé ? Euh, et pourquoi ai-je attendu six mois, six mois de peur, six mois de honte, à votre avis ? Parce que j’étais persuadée que je devais être sympa avec mon violeur et que je devais penser à ne pas trop lui pourrir la vie. Mais au fait, je veux faire quoi, plus tard, moi ? Ah oui : cadre. Un taf où vous êtes censé avoir de l’autorité et être le contraire d’une victime. Du coup, ma carrière à moi, elle n’est pas finie avant d’avoir commencé ? Et combien d’autres vies pourraient finir avant de commencer, si son premier viol n’a eu aucune conséquence pour lui ?

« Ah d’accord, je comprends ! Tu as peur que Paul pète les plombs et commette un vrai viol ! »
Vrai ? Vrai ? Comme dans véritable, véridique, digne de ce nom ? Tu les vois, les larmes, couler de mes yeux ? Tu les as eus, mes cauchemars ? Tu les as vécues, mes terreurs ? Tu es sérieux, là ?

« Écoute, je suis sûr que si tu regardes dans le Code Pénal tu ne trouveras rien qui s’applique à ton cas. »
Article 222-23. Celui qui définit le viol en fait. Nul n’est censé ignorer la loi mais j’aimerais que tu m’expliques pourquoi tu es persuadé de la connaître par cœur alors que tu ne l’as jamais étudiée.

« Mais finalement elle était pourrie depuis le début votre relation, pourquoi tu le fréquentais ? »
Ah parce que ça ne vous est jamais arrivé d’avoir un ami un peu lourd mais qu’on aime bien quand même ? Vous savez, les violeurs ne se baladent pas avec écrit « violeur » sur le front. Sinon, il y aurait moins de viols. Est-ce que vous ne seriez pas en train d’essayer de me faire comprendre que s’il m’a arraché ma dignité de force, s’il s’est servi de mon corps comme il se serait servi d’un cadavre, c’est que je l’ai un peu cherché quand même ?

« Tu sais, Paul, c’est quelqu’un qui nous disait qu’il n’attendait que de te sauter, on trouvait ça attendrissant. »
Euh, cool. J’aurais peut-être aimé le savoir. Non parce que ce n’est pas exactement une façon classique d’exprimer le désir, voyez-vous : la société nous apprend à planquer ça derrière des « j’te kiffe fort BB » et autres niaiseries. Alors, que ce soit franc, je ne dis pas, mais ça dénote une certaine tournure de pensée quand même. Le genre qui m’aurait donné envie de me barrer en courant. Ou seulement de ne même pas envisager de coucher avec lui pour lui éviter de confronter ses fantasmes à la dure réalité, qui fut que je n’étais pas celle qui résoudrait ses problèmes d’érection.

« Ben oui, on ne t’a peut-être pas apporté le soutien que tu attendais mais la situation n’avait pas l’air si alarmante que ça. Je veux dire, tu pleurais à chaque fois qu’on en parlait, alors on n’y comprenait plus rien. »
Et donc, quand quelqu’un pleure de façon incontrôlée en reportant un événement, c’est plutôt une preuve qu’il a un impact émotionnel désastreux sur lui ou qu’il est en train de mentir ? Hein ? Oh ? Je veux dire, je n’étais pas le genre de gamine qui pleurait pour avoir un poney, alors à quel moment avez-vous intégré que toutes les larmes de mon corps = pas grave ?

« Tu sais, à chaque fois que je t’ai encouragée à coucher avec Paul, je l’ai fait en tant que parent, pour que tu apprennes à t’amuser. »
Et si tu t’étais mêlé de ton propre cul ? Tiens, oui, si on en parlait ? Imaginons un monde où ton comportement vis-à-vis du sien n’aurait pas encouragé Paul à me poursuivre et finalement à me violer ? Quoi, j’exagère ? Pourquoi tu mets tant d’énergie à le défendre alors, on croirait que tu connais un meilleur coupable !

« Mais en quoi porter plainte t’a aidée ? Tu me fais l’effet d’une femme qui cherche à se venger, c’est malsain, consulte un psy. »
Ah parce que chercher justice, c’est se venger ? C’est quoi le bon comportement, alors, « oublier et pardonner » ? Me désintéresser de son cas, peu importe qu’il viole quelqu’un d’autre ou pas ? Et à quel moment ai-je prétendu que ça remplaçait une consultation chez un psy ? Et à quel moment as-tu oublié que ma lenteur à porter plainte a laissé un violeur dans la nature pendant plus de six mois ?

« Tu te rends compte de ce qu’on fait aux violeurs en prison ? »
On les viole ? Noooon, pas possible. C’est terrible ça. Je compatis. Si tu savais comme je compatis. Ah, si seulement il avait fait des choix de vie qui l’auraient conduit à ne pas risquer la prison ! En fait quand on y réfléchit bien il l’a un peu cherché quand même ? Plus sérieusement : je sais que la prison n’est pas un lieu miraculeux où les gens cessent d’être des criminels. Mais quel autre choix ai-je ? Il n’existe pas d’autre procédure que le dépôt de plainte ! C’est ça ou le laisser oublier que ce qu’il a commis est grave, illégal et a provoqué un traumatisme important chez sa victime !

« Tu dis que tu as porté plainte parce que Paul pourrait recommencer, mais je ne vois pas en quoi ça te concerne ? »
Je suis, aux dernières nouvelles, sa première victime. Si je me manifeste, si je dis « cet homme m’a violée, cet homme est un violeur », je rends possible de garder ce compte à 1. Si je ne fais rien et qu’il recommence… Comment suis-je censé ne pas me sentir coupable ?

« Tu aurais dû le quitter dès que tu as vu qu’il avait des troubles érectiles, c’est que des problèmes ces gens-là. »
Euh, c’est quoi ces préjugés de merde ? Félicitations si ta bite fonctionne, mais ne te sens pas obligé de l’étaler dans la tronche des gens qui ont moins de chance ! J’ai rencontré un homme, peut-être le plus doux que j’aie jamais fréquenté, chez qui ça ne fonctionnait pas. Tout simplement pas. Il l’acceptait, le regrettait parfois, mais ne m’a jamais culpabilisée pour le fonctionnement de sa propre anatomie. Et si le problème ce n’était pas « les gens avec des troubles érectiles », mais « la société qui te traite de merde si le sang ne passe pas comme il faut dans tes corps caverneux » ?

« En même temps, s’il ne s’en prend qu’aux filles à poil dans son lit… »
En même temps, quand une fille est à poil dans ton lit, c’est que vous êtes assez intimes pour que tu la réveilles et fasses l’amour avec elle ! En même temps, ne violer qu’une fille à poil dans son lit, c’est déjà un viol de trop ! En même temps, s’en prendre à une fille à poil dans son lit, c’est peut-être le déclic nécessaire pour trouver la motivation de droguer une fille dans un bar, d’agresser une fille en pleine rue ou de faire du chantage à une de tes élèves !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire