mercredi 22 octobre 2014

Rectification d'oublis

J'ai porté plainte un vendredi, juste avant la fermeture du commissariat. Le lundi suivant, l'OPJ m'appelait en m'apprenant que le procureur avait mis en route la procédure.

J'avoue que j'en ai été surprise. L'OPJ m'avait prévenue plusieurs fois que, peut-être, on considérerait qu'il n'y avait pas assez d'éléments pour aller plus loin. Je lui avais chaque fois répété que ce n'était pas grave, que je portais plainte parce qu'on m'avait dit que ça placerait automatiquement le nom de mon violeur dans un fichier de la police libellé "a été accusé de viol, faire gaffe si ça se reproduit", et que je n'étais pas là pour jouer les amazones vengeresses et jeter Machin derrière les barreaux.

[Aparté]
"Dis pas ça Gingeolin, tu seras soulagée s'il part en prison !" 
Cher interlocuteur imaginaire, ta gueule. Ce qui me soulagerait, c'est la certitude qu'il a compris ce qu'il m'a fait et qu'il ne recommencera jamais. Parce que figure-toi que je ne l'ai pas, cette certitude : on parle d'un mec qui m'a dit qu'il ne contrôlait pas ce qui se passe entre ses jambes et qu'il avait donc été obligé de prendre le contrôle de ce qui se passait entre les miennes. (La logique, ouh là là.)
Bref, je ne crois pas que la prison garantisse ça. Donc je me fous de savoir s'il y échouera ou pas. Capiche ?
[/Aparté]

Pour revenir à mes moutons, je pensais donc réellement ne pas avoir donné assez d'éléments, ou ne pas m'être trouvée dans un cas de gravité suffisante. Le coup des éléments qui desservent, vous vous souvenez ? Je pensais avoir rempli la grille du bingo de ceux-là, et que du coup les moyens de la Police seraient plutôt consacrés à des gens qui en ont vraiment besoin.

[Aparté]
... Comme ce type dans la file d'attente du commissariat qui avait reçu une contravention et ne voulait pas la payer. Il était juste avant moi, il a tenu la jambe au type de l'accueil pendant dix minutes. Oooooh je l'ai aimé, lui. Ooooooh que je l'ai aimé.
[/Aparté]

Apparemment, la bonne idée que j'ai eue, c'est d'avoir été traumatisée au point d'avoir bavé à tout mon entourage ce qui s'était passé dans la nuit du jeudi 6, et ce dès le vendredi 7. Résultat, j'ai cité au cours de mon dépôt de plainte mes trois collègues et mes deux colocataires, qui sont à présent toutes allées témoigner de ce que j'avais l'air très très pas bien, et que je me plaignais d'avoir été très très violée.
C'est ce que j'ai de plus proche de témoins oculaires.

[Aparté]
Figurez-vous que ça me travaillait l'esprit, ça : "Ciel, je n'ai pas de témoins oculaires". Je me doute que vous trouvez ça stupide mais n'oubliez pas que je suis une femme violée, ça me rend un peu conne quand il s'agit de raisonner sur ce qui m'est arrivé. Non, je ne suis pas en train d'insulter toutes celles à qui c'est arrivé, je me connais, c'est tout. "Ciel, je n'ai jamais pensé à mettre la chambre de mon meilleur ami sous vidéosurveillance pour le cas où il lui viendrait l'envie de me violer !" Faut-il être conne.
[/Aparté]

L'autre bonne idée, c'est de m'être laissée diriger vers l'hôpital. Bref, la bonne vieille blague : je ne peux pas prouver que j'ai été violée, mais je peux affirmer que j'ai été prise en charge comme une victime de viol. L'OPJ a même dit que c'était pas mal sympa de ma part parce que certain/es ne supportent pas l'idée de prélèvements et de constatations juste après les faits, ce qui peut, euh, se comprendre à vrai dire.

[Aparté]
J'ai déjà dû sous-entendre quelque part que si j'ai porté plainte, c'est aussi pour pouvoir déclarer avec une intense mauvaise foi "mais c'est pas bien compliqué de porter plainte, même moi je l'ai fait, laissez pas votre violeur dans la nature ma petite" si jamais je rencontrais une victime. Du coup, je n'arrête pas de considérer ce que je m'estime capable d'affronter comme l'étalon auquel les victimes devraient correspondre. Je sais que c'est mal, que c'est à deux doigts de la culpabilisation. Je ne sais pas comment ne pas faire ça.
[/Aparté]

Du coup, je trouve que mon cas particulier est assez positif pour les victimes en général. Pensez, on est dans un cas où :
- Il n'y a pas de témoin
- Ça se passe au domicile du violeur où la victime s'est volontairement rendue
- Ils ont déjà couché ensemble de façon consentie "mais là c'était pas pareil j't'y jure madame"
- La victime a malencontreusement oublié de partir en courant et en hurlant du lieu des faits
- La victime n'avait pas tellement de marques de violences sur le corps, comme dans "pas du tout", et avec le bol que j'ai pas de traces d'ADN de l'agresseur non plus
... Et on poursuit l'enquête quand même ! Sur ma bonne bouille ! Vous vous rendez compte ?

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